
Martine Desgrippes Devaux
Mai 2013

Pour le mois de mai, j’ai choisi un texte en prose, une nouvelle écrite par ma fille Sabrina alors qu’elle était âgée de seize ans.


Sabrina, après une formation en alternance assurée par BNPPARIBAS a été embauchée par cette même banque. Après avoir tenu pendant trois ans un poste de chargée d’accueil à l’agence d’Equeurdreville dans la Manche, elle est actuellement en poste à Lavelanet dans l’Ariège.
Cette nouvelle originale lui a valu, non seulement une très bonne note au lycée, mais aussi le prix national de la prose en 2005 décerné par un très sérieux jury parisien à l’occasion du concours annuel de littérature organisé par l’Amicale Sportive et Culturelle de BNPPARIBAS.

Les dernières heures d’un colonel…
La porte se referma dans un bruit sinistre…
L’Ancien soupira :
— Un de plus qui vient de nous quitter…
— Où vont-ils ? demanda la Petite.
— Ah ça ! Dieu seul le sait…
— Mais comment êtes-vous arrivé ici ?
— Oulah ! C’est une longue histoire…
— Racontez-moi s’il vous plait ! Cela fait si longtemps que l’on m’a séparée de ma famille et que je n’ai plus entendu d’histoire, implora la Petite.
— D’accord. Tout commença il y a bien longtemps dans un petit village de Normandie ; nous résidions à l’époque, dans des caves, car nous apprécions beaucoup l’obscurité et l’humidité, ces conditions nous permettent de nous épanouir.
Nous vivions paisiblement au gré du temps jusqu’au jour où une guerre fut déclarée à notre peuple ; ce fut terrible, les miens tombaient les uns après les autres ou étaient emmenés dans des lieux infâmes. Cela dura pendant une longue période, le temps de vider la ville de ses occupants.
Mon peuple fut fait prisonnier ou exterminé par l’ennemi. Moi, ainsi qu’une demi-douzaine des miens avons été capturés puis exposés sur des étals comme de vulgaires marchandises… Les ennemis nous regardaient, nous tâtaient, puis je fus emmené et enfermé dans ce lieu clos et glacial. Sur les six je suis le seul rescapé… »
La porte se rouvrit et la lumière les éblouit de nouveau… Une fois l’obscurité revenue, l’Ancien vit la petite pleurer
— Qu’est ce qui ne va pas ?
— Je ne supporte plus cet endroit sombre et froid et il y a cette lumière qui me rappelle tant de souvenirs…
Elle me fait penser au soleil et aux collines de mon pays. Mon peuple et moi passions notre temps à nous faire dorer sur les hauteurs ensoleillées, chaque gorgée de soleil nous donnait la plus belle des couleurs et nous rivalisions pour être la plus jolie. Il y avait aussi, à la différence de cet endroit, beaucoup de chaleur.
Les miens ont également été exterminés et mon pays fut totalement ravagé ! Je ne comprendrai jamais pourquoi ces êtres détruisent des tribus sans raison, c’est horrible !
— Ma pauvre Petite…s’apitoya l’Ancien, j’ai si peur pour toi, si tu savais… Tes jolies formes rondes, tes belles couleurs et ton agréable parfum me redonnent bonheur et joie de vivre. Cela fait si longtemps que je suis ici et mon tour est proche, je le sens. Quoi qu’il arrive de l’autre côté, reste forte !
— Vous qui êtes si vieux n’avez-vous pas une idée de ce qu’il se passe dehors ?
— Non pas vraiment… Mais ceux qui ont été emmenés ne sont jamais revenus. Je pense qu’ils viennent nous chercher pour nous exécuter… »
À ce moment-là, la porte se rouvrit, et une masse géante prit l’Ancien, qui eut juste le temps de crier « Adieu Clémentine !»
Une voix forte et sinistre dit « Pouah ! Tu sens mauvais ! Mais plus un livarot sent fort, meilleur il est ! »
La porte du frigo se referma de nouveau, et la Petite Clémentine entendit au loin :
« À table les enfants, le fromage est prêt ! »
Sabrina DEVAUX