top of page

Juillet-Août 2013

Oui, c’est bien lui ! C’est bien Jack Sproston, mon co-auteur de 

 

J’ai décidé, ce mois-ci de dévoiler des aspects méconnus de sa personnalité.

Tout d’abord, le romantisme avec sa « Belle interdite Â» qui a remporté en 2010 le prix spécial du jury dans le cadre d’un concours de littérature organisé par l’Amicale Sportive et Culturelle de BNPPARIBAS.

                 BELLE INTERDITE

 

Ma belle interdite, comme j’aimerais que tu t’asseyes sur le gazon.

Que ton dos délicatement s’appuie au pied de ce charme.

Comme j’adorerais me placer à ton côté.

Et laisser ma tête reposer entre tes seins.

Oui j’aimerais tourner le dos à tes tentations.

Ne pas t’inciter à la faute, toi qu’un autre a mariée.

Ainsi protégé, je pourrais savourer l’instant de notre complicité.

Me laisser bercer au rythme de ta respiration.

Doucement me griser de tes senteurs délicates.

Tu me conterais ta vie, tes passions, tes exubérances.

J’entendrais l’aigu de tes rires et le grave de ton émotion.

À mon oreille tu me chuchoterais des mots tendres et colorés.

Mais pas de geste, rien que des mots.

Et pourtant, ravi, j’aurais la douceur de ton souffle.

À mes narines viendrait se perdre le parfum de ta bouche.

Tu serais bien et pour le montrer tu poserais ton nez sur mes cheveux.

Et même, quelle audace, un baiser discret.

Tes mains aussi parleraient en décrivant de sensuelles arabesques.

J’en attraperais une au vol, puis deux et m’en ferais un soyeux cache-col.

Mes joues capteraient leur chaleur, ma bouche y trouverait leur goût.

Ma langue en sucerait le miel, les mouillants de mon empreinte.

Tu ne dirais rien, pas une réprimande.

Tu feindrais l’indifférence en espérant que je te morde.

Je ne quémanderais rien, confiant dans ta générosité.

Je te laisserais libre, attentif à ta fantaisie.

Je regarderais le ciel clair avec ses nuages si peu menaçants.

Et en me cambrant un peu plus, je verrais ton sourire, à l’envers.

De mes yeux, comme de deux coupes renversées, s’échapperait le trop-plein d’émotion.

Tes mains saisiraient mon visage avec douceur comme on saisit un tout petit.

Tes lèvres descendraient baiser mon front.

Et de tes yeux pudiquement fermés tomberait sur ma bouche une pluie salée.

Le silence qui suivrait suffirait à tout dire de notre amitié et nous serions rassasiés.

Joli texte, empreint de subtile sensualité et délicieusement accompagné de quelques portraits au pastel réalisés par l’auteur lui-même qui n’a pas qu’une corde à son arc.

En effet sa plume agile peut passer de la tendresse à l’humour. Le texte suivant en est la preuve.

 

LA VIE PRIVÉE DE MA CHASSE D’EAU

 

 

Je ne crois pas aux maisons hantées, pourtant je crois que les chasses d’eau ont un pouvoir magique.

Certaines fonctionnent très longtemps, d’autres sont tout de suite très capricieuses. La mienne, un jour, sans crier gare, s’est mise à pleurer. Tout de suite j’ai culpabilisé. L’avais-je brutalisée ? Il arrive à tout le monde de passer ses nerfs en actionnant le levier un peu trop fermement. Mais là, non, le geste fut doux, emprunt même d’une certaine tendresse, d’une compassion mêlée de reconnaissance pour la tâche ingrate qu’elle exécute habituellement dans un jaillissement joyeux. Objectivement, nous n’avions eu, jusqu’à présent, que des rapports courtois.

Toute la nuit son chuintement douloureux m’a privé de sommeil. Dans les jours qui suivirent, à chaque déclenchement j’espérais une guérison. En fait cette pensée était tout à fait irrationnelle puisque je ne crois pas aux miracles non plus. J’ai dû me rendre à l’évidence, les pleurs redoublaient pour devenir des sanglots.

Alors, pris de panique devant l’urgence, j’ai osé soulever son couvercle et là, le choc fut brutal. Je me trouvais, petit être tout à fait novice, face à une mécanique incroyablement complexe composée de fragiles leviers dont les articulations d’horlogerie actionnent de délicats flotteurs, des clapets ultra-sensibles, des vis réglées au quart de poil. Mes grosses mains que la conscience de imprudence faisait trembler, s’enfoncèrent dans ces entrailles comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, menaçant au moindre faux mouvement de tordre, de dévier ou même pire, de rompre un élément essentiel qui pourrait être fatal à l’ensemble du mécanisme.

J’ai vite renoncé à comprendre les mystères de cette vie que je ne soupçonnais pas et par conséquent que j’étais incapable de réparer. J’ai replacé précautionneusement le couvercle avec le sentiment coupable d’un iconoclaste qui appréhenderait soudain l’ampleur de son sacrilège et refermerait promptement un sarcophage.

Mais la plainte, lancinante, envahissait ma vie un peu plus chaque jour, colonisant mes pensées, m’interdisant de réfléchir à autre chose. Je devais, par exemple, faire un effort considérable pour dresser la liste des courses à acheter au super marché, exercice qui m’était pourtant habituel. La situation devenait tellement intenable que je me résolus aux grands moyens. Je pris la ferme décision de fermer le robinet d’arrêt après chaque vacation aux toilettes.

Le silence fut immédiat, épais, opaque, mais il résonnait dans ma conscience comme un reproche. Je n’étais pas très fier d’avoir ainsi bâillonné la souffrance qu’exprimais, sans doute légitimement cette chasse d’eau jusqu’alors irréprochable. La violence de mon geste, son injustice aussi, me revenait en pleine face. Aucun médecin ne s’aventurerait à presser un oreiller sur la bouche d’un malade pour le faire taire. Moi je l’avais fait. Je me disais que ce n’était qu’une chasse d’eau, que l’on ne pouvait pas comparer, mais pourtant c’était le même geste, la même démarche, la même pulsion morbide et incontrôlée. J’étais capable de ça, je me sentais l’âme sale et pourtant chaque matin je renouvelais le geste en détournant la tête et en sortant précipitamment du petit coin pour m’éloigner au plus vite du corps du délit.

Je n’étais pourtant pas au bout de mes peines. À force de reproduire ce comportement infâme, c’est le robinet qui, un jour, me laissa une larme au bout de mes doigts. Un matin, une petite flaque s’était même formée que je me suis dépêché d’effacer d’un coup de serpillère. Mais le mal était là et s’enflait. Je me suis résolu à placer une boîte de conserve vide dessous. À nouveau mon sommeil avait fui. Le toc-toc régulier des gouttes dans le pot me rappelait mon inconséquence.

Désespéré, au bord de la névrose, j’ai rouvert l’eau et là, comme par enchantement, ma chasse d’eau était guérie. Plus rien ne fuyait. Une joie immense monta en moi. Un soulagement salvateur envahit toutes mes fibres. Un sentiment de reconnaissance me faisait monter les larmes aux yeux. Je me sentais délivré, pardonné de mes fautes et je ne pus résister à l’embrasser affectueusement. Quel bonheur de la retrouver saine et sauve, en parfaite santé et aussi joyeuse que naguère.

La vie a repris et petit à petit l’insouciance revint, mais à chaque visite dans les toilettes je prenais bien garde de ne pas offenser par un geste maladroit ma chère ressuscitée. Je me levais plus tôt, avec une certaine impatience mêlée d’angoisse au moment de la retrouver. J’entrais dans les toilettes en souriant pour lui montrer l’intérêt que je lui portais. Je ressentais comme un luxe inouï, un privilège inestimable d’avoir une chasse d’eau qui fonctionnait à merveille et cela me mettait de bonne humeur pour toute la journée.

Et puis, trois semaines plus tard, alors que j’avais presque oublié cette mauvaise passe, son chagrin réapparu me plongeant dans l’effroi et la désolation. Je ne me sentais pas la force d’affronter à nouveau un pareil supplice. Je m’en ouvrais à mes collègues. Je fus surpris de constater que la plupart avaient connu les mêmes affres que moi avec leur installation. Presque tous me dissuadèrent d’acheter une chasse d’eau neuve. Ni le prix, ni la modernité ne font rien à l’affaire me dirent-ils.

M’apercevant du caractère sordide de son environnement, je me pris par la main et appliquai sur les murs des couleurs acidulées dans le but d’enrayer sa tendance neurasthénique. C’est vrai qu’elle ne sortait jamais, confinée par sa fonction, de cet espace étroit. J’avais même pris l’habitude de laisser la porte ouverte pour qu’elle ne soit plus dans le noir et se sente moins seule.

Alors que mes pensées tournaient à l’obsession, me faisant passer par des phases d’exaspération et de désespoir, ses larmes se tarirent à nouveau, sans que je puisse avancer la moindre explication. Je me gardais alors de tout triomphalisme, toutes ces épreuves m’avaient mûri. D’ailleurs le phénomène se reproduisit plusieurs fois dans l’année sans que les solstices ou les équinoxes y soient pour quelque chose.

 

Alors, faisant le bilan de mes rapports ambigus autant qu’incohérents avec elle, constatant que je n’avais pas la carrure pour tout comprendre et tout régenter chez moi, je suis devenu philosophe et avec sagesse, me semble-t-il, je me suis résolu à la laisser vivre sa vie.

Cette nouvelle originale a obtenu en 2011 le grand prix de l'humour au concours ASC de BNPPARIBAS.

 

Bonne lecture et à bientôt

bottom of page