Le regard
Quelques citations
Quand je me regarde, je me désole. Quand je me compare, je me console.
Talleyrand
Le seul, le vrai, l'unique voyage c'est de changer de regard.
Marcel Proust
Les bons photographes ont un œil, les bons romanciers ont un regard.
Bernard Pivot
La beauté est dans les yeux de celui qui regarde. Oscar Wilde
Que l'importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée.
André Gide
Dans le regard des autres, nous recherchons d'abord notre propre reflet.
Bernard Werber
Qui aime bien ses lunettes ménage sa monture.
Francis Blanche
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire.
Louis Aragon
Les poètes tentent de greffer aux hommes d'autres yeux et de transformer ainsi le réel.
Franz Kafka
Il suffit de changer de regard pour donner un sens nouveau aux évidences anciennes.
Jacques Salomé
Nos poèmes
REGARDS
PARIS - J.O. 2024
Cet été, le bonheur respirait à Paris
Il courait dans les parcs et sur les avenues
Dans les cours des immeubles, sur les pavés des rues
Il nageait dans la Seine, plongeait dans les bassins
Frappait des pieds, chantait, criait, tapait des mains
Cet été, la ferveur se vivait à Paris
Couvrant de baume nos vies blessées
Comme un onguent sur nos pensées lassées.
Partout du bleu, du blanc, du rouge
Et nos corps réveillés qui dansent et qui bougent
Cet été, les athlètes envahissaient Paris
Enchanteurs enchantés
Valeureux conquérants
Vous luttiez aux arènes,
Et combattiez sans haine.
Vous rêviez de médailles
honorant vos batailles.
Vainqueurs nous vous portions aux nues
et nos cœurs chaviraient
tant nous étions émus.
Cet été, la fraternité s'emparait de Paris
Des hommes et des femmes
faisaient vibrer le monde.
Et rallumant la flamme
dans une vasque blonde
Ils nous montraient enfin
le meilleur de l'humain.
Pacifiques guerriers
Unis dans vos diversités.
C'était à Paris et c'était au mois d'août.
Vous étiez des milliers, valides, handicapés,
Vous portiez des drapeaux comme des étendards,
Dans vos yeux brillaient vos rêves fous
et nos REGARDS
reconnaissants qui n'étaient que pour vous !
Marie-Françoise Malherbe
2019
Echange de regards
Je vois son regard me scruter,
Et ses yeux me sculpter.
Ses iris ciel et pervenche
se perlent de lumière
qui déclenche
une pupille noire accordéon.
Et sous des cils qui dansent
se glisse le pardon.
Septembre 2024-09-07
Sourire opportun
A l’aube d’un réveil où s’éveille mon âme,
Mon corps ragaillardi se lève avec ardeur
Et plein de tendre envie comme avec une femme
Sort de son inertie ruisselant de vigueur.
Un rêve endolori ignore mon esprit,
Songeant à l’âpre nuit où l’angoisse fut reine
Et le ciel engourdi peu à peu s’éclaircit
Ainsi qu’un regard lourd s'éloignant de la haine.
Un nuage endormi m’indique le chemin
Vers la saine harmonie où chacun sans pleurer
Avec dextérité fabrique son destin
Tandis que la lumière ignore mon passé.
Un sourire m’appelle et me tend son miroir.
Je l’accueille surpris sans le croire anodin.
Serait-ce le début d’une troublante histoire
Où le bonheur se tait espérant le matin ?
Fermer les yeux
Aussi vain qu’on soit, impuissant
dans le geste ou dans l’argument,
on ne peut pas fermer les yeux
devant la violence et l'odieux
Quand la moindre parcelle de terre
ne sait pas s’épargner la guerre
avec toutes ses cruautés
qui s’ajoutent aux calamités.
Et pourtant englué d’erreur,
c’est moins le monde qui se meurt
que l’homme qui tue dès l’enfance
ce qu’il apporte à la naissance :
Un être prêt à recevoir,
un être prêt à concevoir,
autant le bon, le beau, le mieux
que l’immonde et le désastreux….
A nous parents et compagnons,
enseignants, guides, relations,
d’être présents quoi qu’il advienne,
pour faire barrage à la haine :
C’est là l’ennemi à combattre,
La gangrène qu’il faut abattre.
C’est à nous, les premiers remparts,
contre les plaies de toutes parts,
à nous, de transmettre les mots,
les mots justes, les mots qu’il faut,
pour nommer le mal où qu’il soit ;
C’est notre épreuve, notre combat.
Le cœur doit reprendre son droit,
C’est notre vœu, c’est notre foi,
toute notre espérance est là.
Et comme on l’a dit avant moi
et que le remède c’est nous :
Indignons-nous, indignez-vous ! !
Irène Gaultier-Leblond 27 juillet 2024
Discours à propos de l’homo technologicus
Mesdames et Messieurs
Les paléontologues ont-ils vu
la dernière évolution de l’homme
Après l’homo sapiens sapiens
est venu le temps de l’homo technologicus
On le voit désormais partout dans la rue
les trains les voitures le métro
Il envahit les cafés les restaurants
les lieux publics même les toilettes
Il marche le téléphone à la main
porté sacramentellement à la manière d’un doudou
On l’aperçoit aussi avec des oreillettes de Mickey le regard intérieur écouter de la musique indifférent à ce qui l’entoure
Pas question lorsqu’il fait son jogging d’écouter dans un parc le chant des oiseaux
de regarder les arbres la couleur du ciel
Les yeux branchés sur son appareil
il compte les kilomètres parcourus
et dans la rue le nombre de ses pas
il vérifie ses battements cardiaques
on ne sait jamais
En le voyant ainsi vous n’osez pas l’aborder
pour un renseignement
Et quand vous vous décidez
vous lui dîtes « Désolé mon portable est en panne, pouvez-vous m’indiquer le chemin »
Il se débranche alors comme un malade
en phase terminale il vous regarde ahuri
avant de vous répondre
Parfois comme pris de folie il gesticule
il parle très fort comme s’il s’adressait à une assemblée tout entière
On l’entend dans le train d’un bout à l’autre du wagon
Son interlocuteur est peut-être d’ailleurs
dans un autre train à faire la même chose
On aimerait se mêler à sa conversation
mais quelque chose nous retient
Cependant l’homo technologicus va encore évoluer
Bientôt il comptera par jour par heure que dis-je le nombre de ses protéines absorbées
ou de ses centilitres d’eau la qualité de son air le nombre de personnes vues par jour etc etc
Il ressemblera alors à ce touriste vissé
à son appareil photo oublieux
de regarder la beauté du monde
Visage de la nuit
Il y a des visages
qui sont faits pour la nuit
leur beauté naît qu’on les devine
On suit avec les doigts
les traces du temps
vers des vallées profondes
Le vent du Nord qui couche les yeux
plisse leur regard
de colline blessée
On entend pourtant cette respiration légère
qui monte vers les étoiles
On aimerait redevenir enfant
à tout jamais
sentir la douceur des lèvres
sur un champ de blé
O visage de l’amour
visage qui appartient à la nuit
visage qui ne sera bientôt plus
qu’un point d’ombre
regarde-moi
L’homme de Gala*
Un regard surréaliste
Portlligat, Cadaquès révèlent votre monde.
Figueras, au musée, sait enchanter nos yeux…
Les parfums daliniens, dans les ruelles, abondent,
Et l’air du temps s’enivre à votre Art délicieux…
Je ne saurais parler, en personne éclairée
De vos talents multiples et du Surréalisme ;
Mais pour vous rendre hommage, il me suffit d’entrer
Dans l’univers étrange des facettes d’un prisme…
Gala, exquise Muse, scintille tel un phare,
En Galatée des sphères, ou en portraits subtils.
A Pùbols, son empreinte pénètre en nos regards…
Nul doute qu’en tous lieux, belle fut votre idylle !
Les voiles d’un bateau, les ailes d’un moulin
Aux papillons gracieux, poétiques symboles,
Vos créations sublimes se conjuguent, sans fin…
La mémoire persiste au gré des Montres molles !
Avant de vous quitter, permettez-moi d’user
D’un petit trait d’humour, comme on boit le bon vin,
Juste pour le plaisir, sans trop en abuser :
Adoriez-vous, vraiment, le chocolat Lanvin ?*
*Titre : Salvador Dali fut l’un des compagnons de Gala
La Fontaine aux bustes de Wagner au Château de Gala à Pùbols - Sculpture représentant Dali à Cadaquès et Musée à Figueres (Espagne) Photos : Monique Renault.
*Dali fut l’acteur d’une publicité pour le chocolat Lanvin.
En italique : œuvres de Salvador Dali
Pierrot (fusain-sanguine) et la pêche (fusain) : Jean Renault
Regarde la mer
Enfant le soleil dansait
au fond de tes yeux
Tu respirais la vie
sous le grand soleil bleu
Tes mains jouaient dans le vent
une partition sans fin
Tu pleurais tu riais
quand je te lançais des pierres
Je me consumais de te voir
moi qui ne riais plus
Et pourtant comme je t’aimais
Puis la nuit est descendue
dans ton cœur
Tu t’es refermé
devenu plus dur que le fer
Moi du haut des ponts
je regardais dangereusement l’eau noire
Plein de colère tu errais
perdu dans de sombres forêts
Aujourd’hui tu es sur une terre
petit frère d’où l’on ne voit plus la mer
Regards croisés
Je peins sur une toile, au gré de ma palette,
En couleurs chatoyantes et diverses nuances…
Au noir, au blanc, au gris, je dois payer ma dette,
J’aimerais m’affranchir d’un poids sur la conscience…
Mon regard s’interroge, moi, pauvre coloriste,
Brandissant l’étendard de l’œuvre bariolée…
Je viens, en quelques mots, rejoindre une autre piste,
Et puis, avec ferveur, clamer ce qu’il fallait…
Je l’avoue humblement, j’ai laissé sur la touche,
La force des images, l’attrait du clair obscur…
Je veux rendre aujourd’hui, l’hommage sans retouches,
A ce qui, de tous temps, fut une beauté pure…
Merci Charlie Chaplin, au cœur du Septième Art,
Où la photographie brilla de perfection !
Gloire à Cosette Harcourt*, et à vous, cher Nadar* !
De vos dignes portraits, jaillit tant d’émotion.
Au diable, orange, bleu, rouge, rose, jaune, ou violet !
Œuvrez, dessinateurs pour nuancez le noir !
Auguste et Louis Lumière, trop souvent oubliés,
Dans nos salles obscures, éclairez nos mémoires!
*Cosette Harcourt (pseudonyme) (1900-1976) fut à l’origine des Studios Harcourt, privilégiant les portraits en clair-obscur.
* Nadar : Photographe (1820-1910)
Variations autour du regard
1
un regard presque exprès
qui dévie du visage
le retour d'un clin d’œil
qui évite l'espace
pour des profondeurs d'âme
l'esquive de la paupière
abolissant le monde
un regard quasi gris
que l’œil réanime
de nuages sans larmes
malgré un sourire venu
toucher l'esquisse en vie
de formes indécises
pliant et risque
3
je me fie à mon intérieur
portant des bouquets et des toiles
et des regards presque honteux
d'avoir à suspecter cet art
de suspendre leur jugement baveux
il se peut que la nuit évite
ces yeux qui ne voient dans la brume
qu'une épaisse fumée nocturne
que l'esthétisme sûr et sain
distrait de son œuvre par cœur
le volume d'une image évanouie
s'agrippe à l'idée en cercle
d'une rêveuse hors de son lit
qui fait des manières heureuses
pour oublier l'amant poli
2
lui le regard d'une vierge patiente
pas plus d'élue que d'aphrodite
recouverte de sa chevelure
dans un coquillage codé
dont elle respire le détail
d'un parfum aux complexités roses
tous les yeux sont dans les siens
et malgré le jeu des paupières
la lumière suffit à leur peine
elle découvre d'autres lueurs
elle sera violée par l'histoire
et adorée de tous esthètes
malgré leur ronde d'or sonore
et la maîtrise des contrastes
qui inspire un rien d'iconoclastie
5
une analyse quasi exprès
que fuit le détail du visage
ce qu'un sourire ne saurait dévier
ce qu'un regard retient du style
(elle- en équilibre entre deux gestes)
de la philosophie rapide
qui mise sur la beauté
ce que la paupière retient de larmes
c'est la poussière qui l'assure
ou le vent qui les chasse
mais la tristesse se résigne
à elle- même et au hasard
l'intimité de ces yeux- là
échappe à l'origine
7
un regard déplié dans l’œil
préférant fermer sa paupière
que subir cette intention
évaporée en un clin d’œil
la toile est presque explorée
de lumière et de couleur
- il faudrait une voix altruiste
l'autoportrait tombe une larme
mais que savoir hors du miroir
que dit-il à l'envers
que mine à l'infini
un autre miroir- œil- évite
la tentation de narcisse
évaporée dans les nues
4
si confites dans le ciel
des étoiles communes
et leurs sœurs chagrines
de plier sous la lumière
du soleil intensif
morte leur corps plie
sans jamais un désordre
du bout des doigts tenues
telles paupières mutiques
dont l’œil est abrasif
de la sueur sur l'objectif
ce sont leurs larmes nues
de chaleur et d'immobilité
elles sont mortes insues
et se chantent des lueurs
6
l'angle distrait du regard
le passant sans image
on dirait que son œil
oublie l'ombre
et frôle le visage
de ce scrutateur né
d'un ensemble de gestes
cette monade secrète
qui attire à elle
toutes les distances
et tous les diallèles
tourne autour d'elle- même
comme une fenêtre
lucide et dense
LE REGARD
le regard de l’autre
on le voudrait notre
indulgent et flatteur
pour toucher notre cœur ...
quand son regard se pose
et vous juge, alors j’ose
chercher ce qui rode
pour en trouver les codes
quand ce regard devenu froid
on s’interroge pourquoi
du jour au lendemain
un changement si soudain
dans les yeux de son amant
apparaît le reflet du cœur
quand on perd la main
la vérité fait peur
on croise un regard sombre
rempli de multiples ombres
avec ses furieuses lueurs
qui blessent le cœur
A l’amour devenu sourd
avec ou sans recours
était-ce un pur hasard
ses yeux hagards
Dans son regard
qui sur moi se pose
alors, conclure, j’ose
sur bien des choses !
Regarde …
Regarde ce beau ciel, joliment pommelé,
Ce rayon de soleil festonnant les nuages,
Qui aurait enchanté le pinceau de Sisley.
C’est toujours pour les yeux un délicieux voyage !
Regarde la colline aux doux flancs arrondis
Que le lointain estompe en pâle filigrane,
Éminence boisée que le couchant bleuit,
Qui autrefois peut-être aurait séduit Cézanne.
Regarde la rivière au murmure apaisant,
Qui serpente, indolente, en capricieux méandres.
Renoir y aurait peint le spectacle plaisant
De jeunes gens venus danser ou se détendre.
Regarde la forêt dans l’été finissant,
Ces arbres élancés dont les verts s’enrichissent
D’ambre et de topaze au vent rafraîchissant.
Corot aurait aimé cette saison propice !
Regarde la nature, admire sa beauté,
Mais ignore ce champ souillé par les ordures
D’une engeance attardée qui ne sait que gâter
L’harmonie d’un beau site en lui faisant injure.
Deux profonds gouffres d’ombre
où luit un regard sombre,
dilaté, poignant, lourd ;
un regard sans recours,
plein de désespérance
et qui n’est que souffrance :
Regard désemparé
d’un enfant affamé.
REGARDS D’ENFANTS
Je n’ai vu qu’eux
ces deux grands yeux
là sur l’affiche
du quartier riche.
En ce printemps
tout est pimpant,
mais m’interpellent
ces deux prunelles.
Ces yeux trop grands
ces yeux souffrants
au regard sombre
que leur répondre ?
Baissant les miens
je m’en souviens
de notre monde
moi, j’ai eu honte.
IL SUFFIT D’UN REGARD
Deux petites lucarnes lumineuses
brillent, insolites, au creux de l’ombre.
M’interrogent-elles ? Dois-je leur répondre ?
Intriguée, je m’approche, curieuse.
Tels deux petits phares bien embusqués,
je découvre deux prunelles vert jade.
Elles me fixent. Moi, je les regarde.
C’est un petit chat qui n’est paniqué.
Dans son regard je lis beaucoup de choses :
Crainte ? Espoir ? Attente ? Confiance ? S’il ose…
Et moi, en manque de chat, moi, je sais !
Sans parole, affaire vite conclue
et douce caresse à lui dévolue.
Échange et pouvoir
en un seul regard.
Faut-il en rire ou en pleurer ?
--"Il va pleuvoir dans la journée
les semis vont bien pousser..."
--"Il pleut, je ne peux pas sortir..."
Faut-il en pleurer ou en rire ?
--"Personne en ville cet été,
des commerces vont fermer..."
--"Chic ! la rue est libérée..."
Faut-il en rire ou en pleurer ?
La nature et ses variétés,
J'ai besoin de les contempler.
Mais je voudrais rejeter
L'insecte qui vient me piquer...
La vie a ses contradictions,
Mon regard en fait sélection...
Méfions-nous d'ainsi nous priver
Des plus belles réalités !
Le trésor de l'humanité ?
"De la vie ne rien rater" :
Savoir en rire et en pleurer.
Julie - septembre 2024
Un regard a suffi...
( conte )
Il était une fois une petite fleur
qui venait de naître entre deux pavés...
Sans cesse des pieds venaient la frôler.
Une voiture d'enfant faillit l'écraser...
Quand, tout à coup,
retentit une voix cristalline :
"Attention maman" !
L'enfant s'accroupit et regarda la fleur,
comme jamais on ne l'avait regardée...
Et le monde s'arrêta !...
En un éclair,
les lunettes avaient changé de couleur.
La vie de la petite fleur
devenait essentielle...
Des protections furent installées
et chacun veilla à leur efficacité...
A la surprise générale,
plein d'autres petites fleurs
se mirent à pointer leur nez...
Et petit à petit,
un jardin a fleuri...
C'est ce jour-là que naquit
le parc naturel de ce quartier...
Un regard d'enfant
avait fait basculer le monde...
Julie - septembre 2024