
La mort

Quelques citations

Les morts vivent tant qu’un seul vivant les porte encore en lui. Jean D’ormesson
La vie écrit au crayon. La mort passe la gomme. Christian Bobin
La mort est douce… Ce qui fait souffrir avec certains poisons, certaines blessures maladroites, c’est la vie. Jean Anouilh
Partir, c'est mourir un peu, mais mourir, c'est partir beaucoup. Alphonse Allais
Y a-t-il une vie après la mort ? Seulement Jésus pourrait répondre à cette question. Malheureusement il est mort. Coluche
Je me demande si la mort vaut vraiment le coup d’être vécue. Frédéric Dard
La mort n’est pas la pire chose de la vie. Le pire, c’est ce qui meurt en nous quand on vit. Albert Einstein
Il n’y a pas de mort. Je peux fermer les yeux, j’aurai mon paradis dans les cœurs qui se souviendront. Maurice Genevoix
« Les morts sont des invisibles, mais non des absents. » Victor Hugo
Comme une journée bien remplie nous donne un bon sommeil, une vie bien vécue nous mène à une mort paisible. Léonard de Vinci
Nos poèmes
Les étoiles
J’ai perdu le nom des étoiles
qui brillaient aux yeux des enfants
et oublié celui des voiles
aux rencontres des continents.
Je ne sais plus le nom des baies,
des fleurs sauvages et des fruits sûrs
attrapés par-dessus les haies
sur les talus et les vieux murs.
Je n’ai pas vu sécher les mares,
ni fuir les oiseaux migrateurs,
ni perçu les odeurs bizarres
remonter des puits profiteurs.
J’ai refusé de voir l’orage
qui grondait de tous les côtés
en me détournant du rivage
où s’échouaient les rêves brisés.
Des choléras et des famines
couraient comme des dératés
en escaladant les collines
où se comptaient les refoulés.
Tout s’engloutit dans la mémoire :
les tragédies et les dangers
c’est ce qu’on appelle l’histoire.
Tant que l’on n’est pas concerné
il est aisé de ne pas voir
que le fils ou voisin d’un autre,
différent de peau ou de savoir
pèse autant d’amour que le nôtre.
La terre a beaucoup à donner
mais elle ne fait pas le partage,
c’est à l’homme d’être assez sage
pour en assumer l’équité.
Alors le monde à toutes voiles
pourra sur tous les continents
retrouver le nom des étoiles
qui brillent aux yeux des enfants
Irène Gaultier Leblond le 2 décembre 2024



Rêve vespéral
A l’aube d’un mystère où s’engourdit ma vie,
Je parle à mon image ignorée de l’ennui.
Un songe solitaire étonne mon esprit
Où parfois épargnée une étincelle luit.
Un souffle épanoui éloigne l’ironie
D'une vie appelée au désir inouï.
Le plaisir appelé à l’invincible acmé
Du sommeil et du rêve attend l’humble hyménée.
Quelle flamme inspirée des sinistres lubies
S'empare de mon être encline à l’amitié ?
Je l’accueille étonné par sa gaieté sacrée
Qui traverse mon corps à jamais ranimé.
Un sourire éphémère apaise mon sommeil
Et le rend perméable à la secrète envie.
Saurais-je m’habituer à cette nuit vermeille
Où s’éloigne sans peur le goût de l’inertie ?
MAYOTTE
Un cyclone balaie une île et sa misère,
La change en cimetière où le droit d'espérer
Subsiste sous le poids de tôles effondrées
Dans les pleurs d'un enfant ou le cri d'une mère.
Tableau d'apocalypse ou bien scène de guerre ?
Voilà que sur les peurs du peuple Mahorais,
Un notable en chemise est venu pérorer
Ignorant que l'angoisse engendre la colère.
"Si c'était pas la France..." Ah, discours arrogant !
Les mots sont plus cinglants parfois qu'un ouragan !
Jésus a déserté les crèches de Mayotte,
Les messes de minuit ont sonné comme un glas.
Quant au Père-Noël, ses rennes et sa hotte,
Ils gisent quelque part sous un tas de gravats.
Daniel Cuvilliez, poète




Le deuil
L’hirondeau s’en est allé, quittant le froid
L’eau de la fontaine s’est figée sous le gel
Les arbres nus recouverts du linceul blanc
L’étang glacé devenu miroir
Les saules pleuraient les couleurs automnales
Les grillons sanglotaient, leurs chants perdus
Les fleurs fanées larmoyaient, leurs pétales envolés
Les faons déploraient leurs mères tuées.
Les saisons reviennent, les morts, non
Les fusils claquent, les cœurs s’arrêtent
Les bombes explosent, les corps se déchiquettent
Les cérémonies s’enchaînent annonçant l’espoir
De la cérémonie au cimetière
Au pas marchant entre les noms des sépultures
Entre les larmes et les sourires
Un lambeau de soie sur le cercueil emmené
@ Krystin Vesterälen – 3 janvier 2025

Flots de la marr de Vigo
Vîtes-vous mon ami
O flots houleux
Vîtes-vous mon aimé
Làs, sera-t-il là bientôt ?
Vîtes-vous mon ami
Pour qui je soupire ?
Las, sera-t-il là bientôt ?
Vîtes-vous mon aimé
Pour qui ai grand soin ?
Làs, sera-t-il là bientôt ?
Vagues de la mer de Vigo
Vîtes-vous mon ami
Làs, viendra-t-il bientôt ?
Martim Codax
(Poète Galicien, actif au XIIIe siècle) Traduction : Anne GODO


QUAND NOUS ÉTIONS PETITS…
Quand nous étions petits
À trente ans on était vieux
Une mare était un océan
La mort, lisse et plane,
N’existait pas
Puis, à l’adolescence
On était vieux à quarante ans
Un étang était un océan
La mort seulement
Un mot
Quand on se marie
On était vieux à cinquante ans
Un lac un océan
La mort était la mort des autres
Maintenant âgés
Nous touchons la vérité
L’océan finalement est l’océan
Mais la mort commence à être
La nôtre.
MARIO BENEDETTI
Ecrivain et poète Uruguayen (14 septembre 1920 - 17 mai 2009)
Traduction : Anne GODO, Caen, 12 décembre 2014

LES TEMPS MORTS
les temps morts
c’est encore
du temps perdu
qui ne reviendra plus
c’est laisser vieillir le corps
arrêté sans vie
quand s’égare l’esprit
son cœur battant au ralenti
les temps morts ça veut dire
je m’ennuie :
à mourir sans vie
quand rien n’est folie
plus d’envie
tout fuit
pire que la mort
se dire, mais où je suis ….
les temps morts
c’est dire « tant pis »
adieu la vie
aux moments non saisis
les temps morts
les remords
une erreur de l’esprit
bien que la vie vous sourie
à mon amie, je lui dis
pour toi c’est pas fini
fais encore un effort
reste avec nous, en vie !
Danydeb novembre 2024


La mort
La mort est-elle grave ?
Ne peut-elle pas être légère ?
Quitter la terre
pour une vie éternelle
se tourner ainsi vers le ciel
et oublier les guerres
les hommes et leurs misères
où chacun en bave
à chercher l'impossible bonheur
au fond de son cœur
et ne trouver que « son erreur »
les épreuves saccagent
la croyance transmise par sa mère
mais où sont ces merveilles
supposées éternelles ?
Usés au fil de l'âge
avec ses rêves qu'on enterre
mon dieu quelle misère
d'avoir cru dur comme fer
au bonheur sur terre
mon dieu quel labeur
qui, à petit feu, réduit le cœur
en cendre et en poussière
pour rendre l'âme légère
afin de s'envoler vers le ciel
et oublier les guerres
laissant les hommes et leurs misères
avec leur impossible bonheur …
au fond de leur cœur
croyant dur comme fer
qu'il existe sur terre
la mort parfois soulage
rend l'âme légère
l'heure n’étant pas si grave
d'aller partir ailleurs
se tournant vers le ciel
pour rejoindre sa mère
la mort doit être légère
à une âme en cage
LA MORT DANS L’ÂME
la mort dans l’âme
quand elle me pèse
je pars
je fuis l’averse
une pluie d’idées noires
pour recommencer à croire
l’espoir est tout un art
manger et boire
sans se faire du sang noir
la grand-messe
il faut vivre à part
grand dam !
A chacun sa part
la vie la mort
tout me pousse à croire
à l’espoir de vous revoir
l’amour au fond de l’âme
tendrement je vous baise !



Illustration : Jean Renault
LES TRAINS DE LA MORT
Terrifiants, les convois s’en allaient vers la mort …
Rappelons-nous ces monstres, abjectes salles d’attente,
Abritant la shoah, inéluctable sort,
Infâmes témoins muets, aux portes insolentes !
Nourrissant une guerre jusqu’à la déraison,
Sifflaient les trains d’enfer, ivres de trahison !
Tant de rails assassins se laissaient habiter,
Par d’ignobles wagons qui n’étaient que linceuls,
Voyages sans issue, maintes fois répétés…
Ô! Faites que ma voix ne s’élève pas seule!
Dénonçons la torture et le racisme odieux !
Crions à l’unisson pour que vive la Paix,
Réveillons notre esprit, ne fermons pas les yeux ;
Le courage des Justes* reste à jamais gravé !
*Les « Justes parmi les Nations » ont sauvé des milliers de personnes !
LA MORT AUX TROUSSES
Taureau qu’on a choisi, entends ce que je pense
De la tauromachie ; a-t-elle vraiment un sens ?
La musique commence, tu as déjà compris,
Lorsque l’homme s’avance, que ton ciel s’assombrit…
Tremblent les banderilles, éclats multicolores,
Brillantes, elles scintillent, vil prélude à la mort…
En blessant tes entrailles, œuvre la muleta,
Et puis, vaille que vaille, signe l’assassinat !
Nul espoir de secours, nulle esquive ou parade,
Vient le compte à rebours puis l’ultime estocade !
Alors le matador, de son arme fatale,
Sans l’ombre d’un remords, donne le coup final !
Livrant, devant la foule, un combat illusoire,
Voici que tu t’écroules, extrême trajectoire !
Ta belle robe noire se teinte de vermeil,
Aujourd’hui, ton histoire finit sous le soleil !
En habit de lumière, la danse paraît belle,
Pour toi, c’est la dernière, éprouvante et cruelle !
Ton rival acclamé signe une apothéose.
Te voici délivré, qui plaidera ta cause ?
Content ou en colère, pourquoi le spectateur
Crie, siffle et vocifère, alors que sonne l’heure ?
Pourquoi cet enthousiasme, et pourquoi ces clameurs,
Devant un tel marasme, au milieu de la peur ?
Sur la piste dorée, l’homme vit sa victoire,
Brandissant son trophée, il célèbre sa gloire !
Il effleure le sol, de ses pas exigeants,
Sous le sable qui vole, j’imagine le sang !
Taureau qui a lutté, sous l’œil du désespoir ;
Toi qui nous as quittés, tu vis dans nos mémoires…
Mais rendons un hommage à l’être courageux,
Qui, vaillamment, s’engage et se prête à ce jeu !
Je pense à Manolete* et aux toréadors
Qui, sacrifiant leur vie, ont payé le prix fort,
Scellant, de leur trépas, le succès du taureau …
Quand serons-nous bien las, de tant crier « Bravo » ?
Lorsque le paso doble, enjoué, bat la mesure,
L’âme humaine est-elle noble, en cette démesure ?
La mort trône en l’arène, elle est la corrida ;
Oh ! Toi, funeste reine, pourquoi donc es-tu là ?
*Au cours des siècles, plusieurs toréadors sont morts pendant une corrida, dont Manolete (1917-1947) décédé à l’âge de trente ans.

MORT DE RIRE
Métaphore … Mise à mort
Haïku
Les zygomatiques
Morts de rire ? Enigmatique !
Un trépas unique




MORT D’UN AMOUR
Pourquoi n’es-tu pas là, à embrasser la vie,
A me parler tout bas, et à sourire aussi ?
C’est toi qui m’as donné la force du sublime,
Toi, qui m’as révélé le bonheur qui anime.
Aujourd’hui, j’ai perdu la joie et la gaieté,
Et mon âme éperdue, sans cesse est tourmentée.
C’est ainsi que privée de ta douce lumière,
Je passe mes journées, aux portes de l’enfer.
Pourquoi déambuler, au hasard des chemins,
Et pourquoi donc errer, aujourd’hui et demain ?
Faut-il recommencer, et faire tant d’efforts,
Toujours se lamenter, pour échouer encore ?
Sisyphe * m’est apparu, roulant sa lourde pierre,
Tant d’Illusions perdues, je soupire et j’espère…
Quand mes jours pleins d’ennui, sans la moindre espérance,
Répondent à mes nuits, je pleure ton absence.
S’il est vrai que l’amour, parfois, donne des ailes,
Ne croyons pas toujours qu’il sera éternel !
De temps en temps, rêveur, Cupidon désarmé,
Las de toucher les cœurs, aime se reposer…
Notre lumière s’éteint… La mort de notre amour,
Telle une nuit sans fin, endeuillera mes jours…
La rupture fait sa loi ; il me faudra poursuivre,
Je m’éloigne de toi, car j’ai choisi de vivre !
Permets que je te donne un ultime baiser,
Et que je m’abandonne, avant de t’oublier…
* Mythe de Sisyphe : Mythologie grecque
* Illustrations : Monique Renault

Nostalgie
(rondel)
Dans ce coffret, toute une vie,
Pauvres souvenirs du passé :
Bijoux au charme suranné
Une médaille un peu ternie,
Fleur séchée, photo jaunie,
Un mot d’amour enrubanné,
Dans ce coffret, toute une vie,
Pauvres souvenirs du passé.
Mais les larmes affluent en pluie,
Il faut bien vite refermer.
Je ne pourrai pas t’oublier.
Vers quel néant es-tu partie ?
Dans ce coffret, toute une vie.

Regrets
(distique)
J’aurais aimé te dire, avant le grand départ,
Des paroles d’amour, hélas, il est trop tard.
Les mots restent parfois prisonniers dans la gorge,
Il n’est pires carcans que ceux que l’on se forge.
Le chanteur oublié que l’on n’écoutait plus
S’est tu à tout jamais, loin des médias, reclus.
Pourtant ses mélodies résonnent en hommage,
Il ne peut les entendre et vraiment c’est dommage !
Politicien, savant, artiste ou écrivain,
Quand la gloire s’éteint, l’ancien renom est vain.
Tous vos admirateurs hier si fanatiques,
Du jour au lendemain deviennent amnésiques.
Nous acclamons alors d’autres célébrités
Car nous sommes friands de toutes nouveautés.
Ne vaudrait-il pas mieux que l’on privilégie
Plutôt l’hymne au vivant que sa nécrologie ?

COMPLAINTE DU CRAYON ORPHELIN
En bois de cèdre blond, j’avais belle prestance,
Ma mine de graphite aiguisée d’insolence
Courait sur le papier, conduite par sa main.
Hélas, notre duo sera sans lendemain !
Lui et moi, nous vivions une belle aventure,
Nous excellions dans l’art de la caricature,
Raillant sans distinction Allah, Dieu ou Yahvé.
Notre dernier défi demeure inachevé,
Car la mort a surgi, porteuse d’arme lourde,
Crachant avec le feu la haine aveugle et sourde,
Hurlant quelque slogan à la gloire d’Allah.
C’est notre liberté qui périt ce jour-là !
Éclaboussé de sang, je gis sous une table
Espérant que bientôt, une main secourable
Me ramasse et me garde avec un peu d’amour
Pour que se perpétue notre mission d’humour.
Je sais qu’en cet instant des millions de Charlie,
Des amis de partout que le chagrin relie,
Marchent à l’unisson en toute dignité
Et retrouvent le sens du mot fraternité.
Texte écrit il y a tout juste dix ans à l'occasion des évènements tragiques de Charlie Hebdo

Clair de lune
Chaque fois que j’entends les familiers arpèges,
Résultat imprévu d’un malheureux hasard,
Mon esprit virevolte en douloureux manège.
Ton souvenir alors, me hante sans égard.
Tu t’installes au piano et sous tes doigts s’égrène
Le premier mouvement rêveur et lancinant.
L’œuvre berce mon cœur de jeune lycéenne
Et ton parfum poudré m’enveloppe, apaisant.
Le tempo languissant de la belle sonate
Accompagne en douceur les révisions du bac,
Et contribue parfois, lorsqu’approche la date,
Grâce à son harmonie, à conjurer le trac.
Aujourd’hui, tu n’es plus ; j’écoute le silence
De ce piano muet qui me blesse le cœur.
Quelques accords volés ravivent ton absence
Et j’espère l’oubli pour tuer la douleur.

Être et ne plus être
Hélas, ils ne sont plus, tous ceux qui autrefois
M’ont choyée, entourée, en toute bienveillance.
C’est leur visage aimé que souvent je revois,
Ils furent les piliers loyaux de mon enfance.
Ce rempart de l’amour, pierre à pierre écroulé
Me laisse désormais seule, en première ligne,
Recherchant les fragments d’un espoir envolé,
Oubliant celle qui, un jour, me fera un signe.
De mes larmes d’enfant à mes chagrins muets
Le temps consolateur a adouci ma peine.
Il me reste aujourd’hui nostalgies et regrets
Et de nombreux objets, pour que je me souvienne,
Coûteux ou sans valeur, mais précieux à mes yeux,
Des carnets de croquis, recueils de poésie,
Bijoux d’or et d’argent ou bien de fantaisie,
Piano désaccordé à jamais silencieux,
Tableaux figuratifs, joliment encadrés,
Statuettes en bois et photos par centaines.
Pourtant si je devais un jour m’en séparer,
J’en concevrai sans doute une très grande peine.
Souvenirs émouvants ou trésors superflus,
Une sombre pensée souvent me contrarie,
Que deviendront ces biens quand je ne serai plus ?
Seront-ils destinés à la déchetterie ?


Premier sous-sol
Dans l'ascenseur jusqu'au parking en bas
d'où l'on ne revient pas,
c'est la dernière voix que tu entendras.
Elle t'a dit
« Premier sous-sol »
Féminines et suaves paroles
Les portes s'ouvrent vers l'enfer
Ce sera ton dernier jour sur terre
Premier sous-sol
Les marches après.
A gauche, la sortie, la lumière, le salut
mais non, tu continues
vingt pas vers le garage
la porte refermée, comme on tourne une page
Pre-mier sous-sol,
syllabes détachées,
Tu as pris ton envol
et ton cou a brisé.
L'obscurité a englouti
La nuit venue
Ton geste fol
5ème étage, 1er sous-sol
Cette voix,
Tu ne l'entendras plus.
Reviens-moi
Reviens, oh oui, reviens
Reviens dans ma vie, dans mon présent,
dans mes demains,
tu es parti un moment je le sais
pour oublier
mais reviens-moi
ne tarde pas maintenant,
il est temps.
Tu as feint de mourir
mais dans cette pièce, allongé et si froid
j'ai vu l'esquisse de ton sourire
qui me disait que rien n'était fini,
que c'était une pause,
pour mieux me revenir.
Seule je le sais, seule je le crois.
Mon amour, fais-moi signe et là où tu es
je te retrouverai.
Aux autres je ne dirai rien,
il me faudrait mentir
ils ne comprendraient pas.
Nous partirons très loin,
ailleurs nous recommencerons,
personne ne le saura.
Loin derrière
seront tous nos hiers
et même, même tous ceux que nous aimions
pardon pour eux, pardon.
Reviens, vois comme je t'espère,
Effaçons le passé, les jours de pluie,
les jours maudits.
C'est sûr une autre chance ailleurs
effacera nos peines et portés par toutes nos galères
Nous voguerons enfin vers un nouveau bonheur
Je te guette, ta mort n'est qu'illusoire.
Je suis prête, tu peux réapparaître
de ce néant tu vas renaître
pour offrir à ma vie ta vie comme un ultime espoir.


Veuve
Il y a ce mot que je ne peux écrire
Il y a ce mot que je ne peux pas dire
Aussi tranchant que la lame aiguisée
Du poignard dans mon cœur enfoncé.
Je le lis dans vos yeux quand vous me regardez
Il est dans vos paroles quand vous me consolez
Pourtant je ne suis pas de celles qui le portent
Car il n'a pas franchi le seuil de ma porte.
Ce mot je ne veux pas l'entendre
Ce mot m'est étranger, je ne peux le comprendre
Je l'ai banni de mon vocabulaire
Ou bien je l'ai enfoui dans un vieux cimetière.
Il n'est pas l'heure encore
d'endosser ce costume
Je n'ai pas l'âge, ne veux pas qu'on m'honore
d'un titre rappelant ton souvenir posthume.
Attendez quelques mois ou bien quelques années
Que la femme s'efface, épouse abandonnée.
Alors ce mot terrible comme un cri étouffé,
Sortira de ma bouche et veuve je deviendrai.

Avec grâce
A l’heure de se dire adieu,
Au moment où l'on ferme les yeux
Quand tout s'éteint, quand tout s'efface,
Je voudrais mourir avec grâce.
A l'heure du dernier matin,
Peut-être en serrant une main,
Puisqu’il faudra laisser la place
Je voudrais mourir avec grâce.
A l'heure des derniers souvenirs
Auxquels on pense au moment de partir,
des vieux regrets que l'on ressasse
Je voudrais mourir avec grâce
A l'heure où le corps se meurt
Et cesse de battre le cœur,
Usé, fatigué, de guerre lasse,
Je voudrais mourir avec grâce
A l'heure où s'en vient l'abandon,
la résilience et le pardon,
Quand le silence enfin envahit tout l'espace
Je voudrais mourir avec grâce
A l'heure où je vous quitterai
Pour rejoindre mon éternité
Puisque l'on sait qu'ici tout passe
Pour vous, je voudrais mourir avec grâce.


Juillet
On dirait déjà la fin de l'été.
Les nouvelles nous disent la noirceur du monde
les flammes incandescentes ou la pluie qui inonde
Nous sommes en juillet.
J'ai l'âme sombre
et pourtant tout va bien
Si ce n'est les morts que l'on dénombre
La vie va et je n'y comprends rien.
Le temps passe que je ne retiens pas
Les jours défilent, inexorable fuite
Le manque est toujours là,
Que faire pour qu'il me quitte ?
J'ai moins le goût des choses,
L'envie est laborieuse
Si sur mes lèvres un sourire se pose
Il ne vous dira pas que je suis malheureuse.
Soudain sans raison l'ennui me gagne
Dans mes pensées tourmentées tu reviens
La tristesse à nouveau m'accompagne
Pourtant sur ma joue je sens la douceur d'une main.
Laisser passer l'orage,
Lever la tête et regarder le ciel,
Y puiser du courage, y voir des présages,
Invoquer les belles âmes que l'on veut éternelles.
Il me faut accepter celle que je suis
Au fond, rien n'a vraiment changé
L'enfance a tout écrit
On ne décide pas. Nos destins sont tracés.
Un jour, je serai morte.
Un peu après toi, un peu avant les autres,
Qu'importe.
J'aurais été l'une des vôtres.

Nelly
Adieu belle amie
jeune et belle Tarentine
à tout jamais dans nos mémoires
Morte par un beau soleil de juillet
un soleil noir un soleil de deuil implacable
Ironie un soleil qui brillait encore au-dessus
du Père La chaise le jour de tes adieux
Tu as lutté longtemps longtemps
avec ta rage de vivre contre ce crabe
qui te rongeait l’intérieur du corps
La mort tu la regardais en face
ton courage en bandoulière
hélas cela n’a pas suffi
Tu souriais encore lorsque tu es partie
rejoindre les aigles sur la montagne
là-haut très haut
C’en est fini d’entendre le son de ton rire cristallin
qui perlait comme une fontaine
C’en est fini de contempler ton visage
il prenait si bien la lumière
Depuis ton départ le ciel pleure le ciel est triste
Nous femmes et hommes tous ceux qui t’aimaient
et ils étaient nombreux nous sommes inconsolables
Tu ne le savais pas tous nous étions amoureux de toi mais personne n’aurait osé te le dire.


A corps et à cris
Avant
il y avait des yeux
Ô ces milliers d’yeux
ces yeux d’enfants
ces yeux bleus verts noirs ou marron
ces yeux clairs yeux rieurs
ces yeux mobiles
Et des cris des cris des cris
de cours de récréation
Et
puis
rien
un rien
plus rien
le silence
Pas ce silence entre les mots
pas ce silence de respiration
pas ce silence d’écoute
non
un silence coupé au couteau
un silence d’après
un silence sans oreilles
un silence sans voix
Et des volutes de fumée
et des volutes blanches
de la poussière
une odeur de chlore
une odeur douçâtre dans l’air
Et toujours des yeux
des yeux d’enfants
levés vers le ciel
et dans leurs yeux
ouverts sur ce ciel
qui est bleu
de petits nuages blancs
on dirait des mobiles
poussés par le vent
Cueillir le jour
Parti à l’orée du printemps
toi qui chaque matin cueillais le jour
Je te connaissais grâce aux yeux de l’amour
Tu ressemblais à un arbre solide
le chêne d’une forêt primitive
Ah tu l'aimais cette vie en dépit de tout
toi qui voyais la terre non pas comme un terrien mais comme Eluard avec son orange bleue
Tu espérais un monde meilleur
que ce monde de bruit et de fureur
Loin de tes combats désormais tu reposes tranquille parmi tes montagnes au ciel incomparable
Tu écouteras le chant du vent dans la douceur des soirs quand le soleil s’éteindra peu à peu
au fond de l’horizon


Dernier souffle
Depuis longtemps déjà
tu marchais à petits pas
On te disait fatiguée toi qui t’éloignais
avec ton dernier regard de femme
Personne ne voyait que tu partais
vers ce pays lointain d’où l’on ne revient pas
Aujourd’hui je te rêve sous la pluie
qui rendait si beau ton visage
Pourquoi t’en être allée
si doucement au souffle de la nuit
Dis-moi la mort
Dis-moi la mort
es-tu ce regard d’amour
qui s’éteint
Cette main si froide
qu’on douterait qu’elle soit une main
cette voix qui s’est tue au matin
Ou l’ultime soleil sur la mer
la dernière étoile d’eau
perdue dans l’univers
Ces armées de portemanteaux
qui marchent inexorablement
sous les nuits d’encre
Ou ces hommes qui gisent
à la surface des rivières bleues
sans savoir que la beauté
ne sauvera pas le monde
Dis-moi la mort


La première ombre du soir
Dans le silence minéral du soir
seul troublé par le vent
L’œil froid dans lequel se reflète
un beau ciel de traîne
Le corps devenu gris puis terre
puis pierre
La caresse furtive du soleil
sur les feuilles mortes
Un bruit léger de pas
féminin indécis
Et la première ombre du soir
avant la nuit
Le temps et l’espace
La lune semble abandonnée ce soir, les hommes aussi. En suivant des yeux les nuages qui avancent comme en rêve, je pense à ce moment incroyable, celui que nous vivons. Le temps est devenu immobile, le temps du temps est revenu. Nos frénésies de mouvements, d’activités sont suspendues. Notre espace s’est réduit à la portion congrue, nous devons réapprendre à vivre comme des prisonniers. Peu à peu nous retrouvons des gestes oubliés, nous faisons l’apprentissage de la lenteur. Nous redécouvrons l’ennui, celui d’une enfance lointaine, celui des étés chauds interminables où nous ne savions quoi faire, et avec l’ennui nous redécouvrons le rêve, l’imaginaire. Nous regardons par les fenêtres les évolutions du ciel, la lumière, les arbres qui frémissent dans le vent, et malgré nous des images apparaissent, des odeurs, des visages, la rumeur de la mer, le bruit d’un torrent. Nous rêvons et nous nous laissons portés comme dans une rivière. Dans ce moment de sidération nous redécouvrons aussi la présence de la mort, notre finitude, la mort que nous mettions à distance, la mort qui était devenue une abstraction. Nous regardons les images de ces corbillards italiens, on n’ose pas encore nous montrer les nôtres. Il a fallu du temps pour que l’on mette un nom sur le visage de ce médecin mort à la tâche. Ce temps, c’est désormais le temps du retour sur soi.


Sarajevo
Retrouver l’amour fou
perdu dans le chaos de la nuit
Au petit jour
on comptera les hommes
sur un boulier géant
Des enfants
appelés familièrement bouchons de lune
apparaîtront sur les trottoirs
nénuphars caressés par le vent
Pour un instant seulement
on ne prêtera plus attention aux canons des frontières
Mais les regards blessés
sortiront des caves
sans plus d’humain que la peur
Je sais
Je sais l’amour et je sais l’éphémère,
Je sais le mystère
De la terre et de l’homme.
Je sais la bête au fond de l’homme
Et je sais les jardins, la pomme.
Je sais les vieux,
L’enfant qui tremble en eux.
Je sais les bonheurs,
Je sais la peur,
Je sais la douleur,
Le malheur,
De l’homme.
Je sais la profondeur
Où les morts se couchent,
La douleur
De la femme qui accouche
Et les pas de l’enfant,
La mère qui défend.
Derrière les choses, tapi,
Je sais l’ennui,
Et les mots retenus à la buée des lèvres,
Les mots qui enfièvrent,
Les pas feutrés sur la neige du temps
Et la vie qui attend.
(extrait du recueil “Mon abécédaire de la vie”)



L’album
Je feuillette, attendrie, un beau livre d’images
Où sourient, bien rangés, beaucoup d’enfants très sages.
Les grands sont épanouis et les vieux rajeunis.
Je scrute ces visages
Statufiés dans l’instant, suspendus dans le temps.
Mensonge que cela !
Ils sont morts.
- Une bombe ?
- Non, la vie !
Je traverse, ébahie, ce vaste cimetière.
Ils sont ici, rangés, sous la terre et la pierre.
Ils se sont évanouis. Retournés en poussière.
Je revois leurs visages
Statufiés dans la mort, rompus avec le temps.
Mensonge que cela !
C’est la vie.
- Ces tombes ?
- Oui, la mort.
Il disait...
Il me disait
Je suis libre
Je n'ai pas à l'écraser.
Je lui disais
Si tu veux être libre
Tu devrais l'écraser
Ta cigarette.
Arrête !
Il ne l'a jamais écrasée.
Il s'est arrêté
Pour l'éternité.

Comme une escale
Un crabe s’était niché,
Silencieux.
Des petits s’étaient accrochés,
Insidieux,
Sur les rivages de mon corps.
J’avais lutté,
Courageux.
Rémission. C’était comme une escale.
Alors je suis parti, tout au fond d’une cale,
Trouver une plage pour m’y nicher,
Silencieux,
Me protéger du vent froid,
Ombrageux,
Qui vous pousse comme la mort;
Quitter mes habitudes,
Quitter la multitude,
Me préparer à l’ailleurs
Dans un monde meilleur.
Désertion. Comme une escale.
Je suis
Je suis un torrent d’ombres d’où le temps s’enfuit,
Un passé assoupi qui s’endort,
Un présent qui demeure et qui pleure,
Un battement de cœur,
Qui résonne, pesant. Un effort.
J’ai été. Je suis.
Je suis un grand ciel gris, épanoui,
Un pied meurtri sur un chemin trop dur
Qui voudrait se baigner dans une onde d’eau pure,
Un battement de paupière
Eblouie de désert. Une chute.
J’ai vécu. Je lutte.
Et comme à l’horizon la fuite est implacable,
J’avance vers la nuit, je pèse sur le sable,
Je crois que j’aurai fait tout ce que j’aurai pu
Et je ne serai plus.



La mort n’a pas d’âge
Non, la mort n’a pas d’âge.
Quand le voyage est écourté,
Qu’ils n’ont pas eu de temps pour se faire écouter,
On imagine leurs âmes sur des voies de portage
Indéfinis.
Quand la nuit est venue avant le crépuscule,
Que la mort les bouscule,
Un peu comme un orage
Au ciel noir en plein jour,
Au plus d’temps pour l’amour.
Non, la mort n’a pas d’âge.
On se dit que, peut-être, faisaient-ils semblant,
Que d’une tragédie étaient si ressemblants,
Qu’ils se relèveront
Glorieux et tremblants
D’avoir tant approché la faux et le néant.
Main non. La mort n’a pas d’âge.
Ils sont bien arrivés au bout de leur voyage.
Dans la chambre
Dans la chambre d’enfant
Une boîte à musique
Hoquetait ses dernières notes.
Dans la chambre du grand-père
Une vieille main grattait le drap
Et s’arrêta au dernier soupir.


Au-delà de la mort
Vous qui me traversez encore,
Au-delà de la mort,
Dans l’intérieur de mes pensées
Je vous ressens à fleur d’âme.
Alors, vacille une petite flamme,
En moi court l’enfant que j’étais.
C’est la vie toujours recommencée.
Vous qui me traversez souvent
Dans mon désert, souffle le vent,
Nomades vous passez
Dans l’intérieur de mes pensées.
Les portes sont fermées mais je vous vois.
Parfois, je reconnais votre voix.
Vos noms dansent dans ma tête
En vain.
Vos visages sont vivants, c’est bête,
Pour rien.
Je referme au dedans mes paupières internes
Qui vous cernent.
Mais vos joues sont bien pâles soudain,
Et la poussière dans vos cheveux
Est un aveu.
Je vous laisse en votre jardin.
D’espoir en espoirs
L’espoir, comme la vague qui titille la plage,
L’espoir tel un bruit d’eau au fond du coquillage
Qui nous suspend au seuil d’un mystère improbable.
L’espoir, comme les vagues qui caressent le sable.
L’espoir d’aller au bout de sa désespérance,
L’espoir qu’il est un lieu d’une vraie délivrance.
Les cierges de l’espoir pleurent des larmes de cire,
La cire qui clôt vos lèvres et fige vos sourires.
Encore espérer et dormir. Fleurir encore.
Renaître une aube neuve et oublier la mort.
Tranquille de votre paix, m’ouvrir neuve à la vie.
Ce soir c’est de l’espoir que j’ai vraiment envie.


L’enfant du Cotentin
- Dis maman, que faisait-il grand-père ?
- Il travaillait à l’arsenal.
- Qu’est-ce qu’on y fait à l’arsenal ?
- Des sous-marins nucléaires.
- Il est mort de quoi grand-père ?
- D’un cancer.
- Dis maman, pourquoi ils sont tous là, au cimetière ?
Qu’est-ce qu’elle avait grand-mère ?
- Un cancer.
- Et ton frère? -Un cancer.
- Et ta sœur? - Un cancer.
- Et aussi l’oncle Albert ?
- Oui, un cancer.
- Et François c’était son grand frère ?
- Oui. Il est mort d’un cancer.
- Et Noémie, quelle est sa maladie ?
- La leucémie.
- Dis maman, ils vivaient tous là, en Cotentin ?
Que de questions dans ce regard enfantin,
D’angoisse et de souci.
- Et Julienne, c’est un cancer aussi ?
- Non, c’est le cœur.
- Ouf! J’ai eu peur !
- Et toi maman, tu jouais aussi à la plage ?
Et mangeais-tu des coquillages ?
- Dis, maman, tu ne vas pas mourir ?
Mais si, elle a trouvé la force de sourire.
Je certifie que, mis à part Noémie, tout est vrai, y compris les prénoms.
Dans les cimetières
Même dans les cimetières,
A la fin de l’hiver,
La vie explose.
On sarcle les ordures.
On laisse tout ce qui dure.
C’est dur.
Même dans les cimetières,
Entre toutes ces pierres,
La vie explose.
L’angoisse qu’on endure
Et l’absence qui dure
Implosent.
Même dans les cimetières,
De la terre tout entière,
La vie explose.
Tous les chagrins perdurent,
Mais la vie peinturlure
La mort.

Tous ces poèmes ont été repris dans mon dernier recueil qui reprenait mes divers autres.
Il s’intitulait « Mes chemins de poésie »