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Quelques textes d'auteurs

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Le déserteur

 

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C'est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m'en vais déserter

Depuis que je suis né
J'ai vu mourir mon père
J'ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j'étais prisonnier
On m'a volé ma femme
On m'a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J'irai sur les chemins

Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens:
Refusez d'obéir
Refusez de la faire
N'allez pas à la guerre
Refusez de partir
S'il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n'aurai pas d'armes
Et qu'ils pourront tirer

 

Boris Vian

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. Quatre jours mon amour

Quatre jours mon amour pas de lettre de toi
Le jour n’existe plus le soleil s’est noyé
La caserne est changée en maison de l’effroi
Et je suis triste ainsi qu’un cheval convoyé

Que t’est-il arrivé souffres-tu ma chérie
Pleures-tu Tu m’avais bien promis de m’écrire
Lance ta lettre obus de ton artillerie
Qui doit me redonner la vie et le sourire

Huit fois déjà le vaguemestre a répondu
« Pas de lettres pour vous » Et j’ai presque pleuré
Et je cherche au quartier ce joli chien perdu
Que nous vîmes ensemble ô mon cœur adoré

En souvenir de toi longtemps je le caresse
Je crois qu’il se souvient du jour où nous le vîmes
Car il me lèche et me regarde avec tendresse
Et c’est le seul ami que je connaisse à Nîmes

Sans nouvelles de toi je suis désespéré
Que fais-tu Je voudrais une lettre demain
Le jour s’est assombri qu’il devienne doré
Et tristement ma Lou je te baise la main

Nîmes, le 12 février 1915   

Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou

Les séparés  

 

N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.
Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau.
J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre,
Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.
N’écris pas !

N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu’à Dieu... qu’à toi, si je t’aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes,
C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
N’écris pas !

N’écris pas. Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.
Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N’écris pas !

N’écris pas ces doux mots que je n’ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.
N’écris pas !

Marceline Desbordes-Valmore

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Éloigné de vos yeux, Madame, par des soins
Impérieux (j'en prends tous les dieux à témoins),
Je languis et je meurs, comme c'est ma coutume
En pareil cas, et vais, le cœur plein d'amertume,
À travers des soucis où votre ombre me suit,
Le jour dans mes pensers, dans mes rêves la nuit,
Et, la nuit et le jour, adorable, Madame !
Si bien qu'enfin, mon corps faisant place à mon âme,
Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi,
Et qu'alors, et parmi le lamentable émoi
Des enlacements vains et des désirs sans nombre,
Mon ombre se fondra en jamais en votre ombre.

En attendant, je suis, très chère, ton valet. [...]

Sur ce, très chère, adieu. Car voilà trop causer,
Et le temps que l'on perd à lire une missive
N'aura jamais valu la peine qu'on l'écrive.

Paul Verlaine Fêtes galantes

LETTRE A DES AMIS PERDUS 

 

Vous étiez là je vous tenais

Comme un miroir entre mes mains

La vague et le soleil de juin

Ont englouti votre visage 

 

Chaque jour je vous ai écrit

Je vous ai fait porter mes pages

Par des ramiers par des enfants

Mais aucun d'eux n'est revenu

Je continue à vous écrire 

 

Tout le mois d'août s'est bien passé

Malgré les obus et les roses

Et j'ai traduit diverses choses

En langue bleue que vous savez 

 

Maintenant j'ai peur de l'automne

Et des soirées d'hiver sans vous

Viendrez-vous pas au rendez-vous

Que cet ami perdu vous donne

En son pays du temps des loups 

 

Venez donc car je vous appelle

Avec tous les mots d'autrefois

Sous mon épaule il fait bien froid

Et j'ai des trous noirs dans les ailes

René Guy Cadou

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