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Le sonnet d'Arvers
par Jeanne & Martine

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Le Sonnet d'Arvers, paru en 1833 dans le recueil poétique Mes heures perdues de Félix Arvers (1806/1850), est l'un des sonnets les plus populaires du XIXe siècle.

Nombreuses sont les interrogations au sujet de l'identité de cette mystérieuse créature.
 

« Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

Hélas ! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire,
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas ;

À l'austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle :
« Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas. »

Malgré sa notoriété de l'époque, le poète est tombé dans l'oubli.

Seul demeure dans les mémoires son fameux sonnet qui a été de nombreuses fois pastiché.

      Voici la réponse d'une femme :

Réponse d'une autre moins réservée

 

« Mon cher, vous m'amusez quand vous faites mystère
De votre immense amour en un moment conçu.
Vous êtes bien naïf d'avoir voulu le taire,
Avant qu'il ne fût né je crois que je l'ai su.

 

Pouviez-vous, m'adorant, passer inaperçu,
Et, vivant près de moi, vous sentir solitaire ?
De vous il dépendait d'être heureux sur la terre :
Il fallait demander et vous auriez reçu.

 

Apprenez qu'une femme au cœur épris et tendre
Souffre de suivre ainsi son chemin, sans entendre
L'ami qu'elle espérait trouver à chaque pas.

 

Forcément au devoir on reste alors fidèle !
J'ai compris, vous voyez, « ces vers tout remplis d'elle. »
C'est vous, mon pauvre ami, qui ne compreniez pas. »

« Ami, pourquoi nous dire, avec tant de mystère,
Que l'amour éternel en votre âme conçu,
Est un mal sans espoir un secret qu'il faut taire,
Et comment supposer qu'Elle n'en ait rien su ?

Non, vous ne pouviez point passer inaperçu,
Et vous n'auriez pas dû vous croire solitaire.
Parfois les plus aimés font leur temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.

Pourtant Dieu mit en nous un cœur sensible et tendre,
Toutes dans le chemin, nous trouvons doux d'entendre
Un murmure d'amour élevé sur nos pas.

Celle qui veut rester à son devoir fidèle
Est émue en lisant ces vers tout remplis d'elle,
Elle avait bien compris... mais ne le disait pas. »

Réponse d’une demi-mondaine

 

« Montre enfin au grand jour, loin d’en faire mystère,
Ce désir d’être aimé par tout homme conçu !
Mal d’amour, mon chéri, ne devrait pas se taire :
Pouvais-je le guérir avant de l’avoir su ?

Jamais un beau garçon ne passe inaperçu…
Tu n’es pas né pour vivre et languir solitaire.
Viens trouver dans mes bras le bonheur sur la terre,
Et ne t’en prends qu’à toi si tu n’as rien reçu.

Tu verras que je suis bien faite, ardente et tendre,
Ni prude, ni bégueule et prête à tout entendre,
Sachant par le menu ce que c’est qu’un faux pas.

Elle ne jure point de te rester fidèle,
Cette folle amoureuse ! Un jour, tu diras d’elle :
« Quelle fille c’était ! »… mais ne l’oublieras pas ! »

Un séducteur plus sûr de lui affirmait :

« Je n’aurai pas longtemps laissé dans le mystère
Mon amour insensé subitement conçu.
Plein de désir, d’espoir, je ne pouvais me taire ;
Celle dont je suis fou du premier jour l’a su.

Jamais je n’ai passé près d’elle inaperçu.
À ses côtés comment se croire solitaire ?
Pour moi j’aurai goûté le bonheur sur la terre,
Osant tout demander, d’avoir beaucoup reçu.

Dieu ne l’avait pas faite en vain jolie et tendre.
Elle a dans son chemin trouvé très doux d’entendre
Les aveux qu’un amant murmurait sur ses pas.

À l’austère devoir, j’en conviens, peu fidèle,
Elle saura, lisant ces vers tout remplis d’elle,
Le nom de cette femme… et ne le dira pas. »

Quant à Maurice Donnay, il a réécrit le sonnet à l'envers.

« Mon âme est sans secret, ma vie est sans mystère,
Un déplorable amour en un moment conçu ;
Mon malheur est public, je n’ai pas pu le taire :
Quand elle m'a trompé, tout le monde l'a su

Aucun homme à ses yeux ne passe inaperçu ;
Son cœur par-dessus tout craint d’être solitaire ;
Puisqu’il faut être deux pour le bonheur sur terre,
Le troisième par elle est toujours bien reçu.

Seigneur, vous l’avez faite altruiste et si tendre
Que, sans se donner toute, elle ne peut entendre
Le plus discret désir murmuré sous ses pas.

Et, fidèle miroir d’une chère infidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle :
« Je connais cette femme »… et n'insistera pas. »

Il existe encore bien d'autres pastiches de ce sonnet.

La version originale a été chantée par Serge Gainsbourg.

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